Avant de tomber malade, je m’étais toujours trouvée assez patiente, que ce soit lorsque j’attendais un bus ou un résultat ou dans toute autre situation où il fallait attendre. Mais la maladie m’a fait prendre conscience d’à quel point j’étais en fait impatiente. Impatiente que les choses se fassent au rythme que je voulais, comme je les avais planifiées, au moment où je les avais prévues. S’armer de patience a été difficile car cela revenait à accepter la faiblesse et la fatigue, la dépendance, les difficultés liées à la maladie.
Une patience de la faiblesse et de la fatigue
C’est une patience plus nécessaire pour ces jours où faiblesse et fatigue sont reines et où même sortir du lit sans fauteuil roulant paraît presque surhumain. En effet, bien de la patience est nécessaire lorsqu’on a cette impression de régresser, de ne pas arriver à faire quelque chose qui pourtant semblait acquis ou que l’on arrivait encore à faire la veille. Et même si on y arrive, chaque activité prend beaucoup plus de temps, un temps qui paraît parfois interminable.
Cette patience de la faiblesse permet de persévérer, d’avancer malgré tout, et de « tomber six fois, se relever sept », selon le titre de ce livre de Philippe Labro. On apprend à accepter que ce qui n’est pas fait aujourd’hui pourra être fait demain ou après-demain et que cela n’est pas grave. Atteindre les objectifs que l’on veut vraiment passera par une adaptation du plan et du rythme. In fine, je pourrai ainsi atteindre ce que je m’étais fixé. On apprend à vraiment apprécier le concept de « delayed gratification » : Se reposer pour être plus en forme plus tard, avoir la patience d’attendre que les traitements marchent. Même si ce n’est pas vraiment ce qu’on aurait voulu.
Une patience de la dépendance et de l’accessibilité
Lorsque l’on est en en situation de dépendance, même partielle, l’organisation du temps et des activités ne nous appartient plus complètement. Il faut avoir la patience de demander l’aide dont a besoin et la patience d’attendre qu’elle nous soit apportée. C’est la patience du manque d’autonomie, mais aussi du manque d’accessibilité. En effet, quand bien même c’est potentiellement accessible, on peut avoir malgré tout besoin d’aide, par exemple pour faire marcher un monte-fauteuil, pour descendre d’un train ou d’un bus le temps que la rampe soit déployée, etc. C’est accessible, mais on n’est malgré tout pas complètement autonome.
Cela requière aussi une patience de la communication, celle pour faire comprendre aux gens quels sont nos besoins et nos difficultés, mais aussi pour face à des comportements parfois déplacés ou agaçants. Souvent, c’est le côté répétitif de certaines situations qui est usant et requière une dose supplémentaire de patience, tout comme celle-ci est nécessaire pour la déconstruction des préjugés qui existent face aux personnes en situation de handicap :
« – Vous ne pouvez pas faire ça ! Voyons, c’est impossible. »
Que de fois n’ai-je pas entendu cette remarque devant un obstacle apparemment jugé insurmontable pour une personne en situation de handicap comme moi.
Une patience de l’action face aux limites
En effet, là encore, il faut de la patience, une patience de l’action qui intègre les préjugés et les limites, réelles ou imaginées, sans se laisser arrêter par elles. Les autres se chargent souvent de nous rappeler que ce n’est pas possible. Mais le drame serait de croire qu’en tant que personne en situation de handicap, certaines choses sont réellement complètement impossibles. Il y a certainement une poignée de choses qui effectivement, ne seront pas possible. Mais quand on sait qu’il y a du slalom à ski pour des malvoyants ou du ski avec un ski fauteuil, il apparaît assez clairement que tout est possible. Ou presque. Mais tout reste possible, seulement à force de persévérance, de flexibilité, de capacité d’adaptation et de créativité. Je sais que je suis une optimiste invétérée, mais je crois sincèrement que tout reste possible. Il ne faut pas s’autocensurer à cause de son handicap, renoncer à des rêves ou des projets. Il faudra peut-être les revisiter et les adapter, comprendre le sens que l’on voulait y trouver et le retrouver autre part. Ainsi si j’avais voulu devenir danseuse étoile – ce qui n’était pas du tout le cas -, le fauteuil roulant aurait clairement été un obstacle difficile à surmonter. Mais en aucun cas, un fauteuil roulant n’empêche de danser ou de se produire sur scène. Avoir un handicap permet de questionner plus profondément les motivations réelles derrière des rêves et des projets, de comprendre leur pourquoi.
Certes, ce n’est pas facile, mais tout reste possible avec de l’humour, de la flexibilité et de la volonté, même s’il en faut beaucoup pour évoluer dans un monde qui n’est pas encore complètement adapté. Cela demande aussi beaucoup de courage pour ne jamais choisir le chemin de la facilité qui serait d’abandonner et d’abdiquer l’autonomie et l’indépendance qui nous restent encore malgré tout. Avec une maladie chronique, chaque jour est un défi. Mais c’est aussi une chance, celle de sortir de cette fameuse zone de confort dont on nous dit toujours qu’il faut apprendre à la quitter. De toute façon, il est impossible d’y rester si l’on veut accomplir quoique ce soit avec un handicap ou une maladie chronique. Choisir de faire ce qui, selon certains, relève de l’impossible, c’est la garantie assurée de se coucher fier de soi. Rien que se lever, se préparer, aller travailler, rentrer chez soi, voir des amis sont autant de petits succès qui, bien que fatigants, remplissent de fierté. En effet, toutes ces activités demandent plus d’efforts lorsque tout est plus difficile. On sait combien elles nous ont coûté et avoir réussi à les réaliser est une source de satisfaction d’autant plus grande. Aller au bout de ses rêves avec un handicap nécessite d’aller plus loin encore. En effet, il donne cette chance de se rappeler que la vie est là maintenant, qu’elle est unique et qu’il faut donc lui donner du sens comme on peut. Il faut donc enfin avoir la patience d’adapter ses rêves, de reconstruire ses projets et de donner du sens à cette vie qui, selon certains, n’en aurait plus à cause du handicap ou de la maladie chronique. Un grave erreur !
Faire la paix avec la maladie n’est pas non plus se résigner, mais c’est apprendre à cheminer avec, en composant avec les moments plus difficiles et ceux plus faciles, tout en savourant la vie différemment de ce que l’on avait pu faire avant parce qu’on a appris à quelle vitesse une situation peut se retourner.
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