Douze ans que ma vie a changé radicalement, pour le pire, mais aussi pour le meilleur. Douze ans de maladie chronique, avec des bas et des hauts, avec plus ou moins (mais presque jamais pas) de symptômes. Je n’aurais très certainement pas choisi de me retrouver dans cette situation, si on m’avait laissé le choix. Mais, douze ans plus tard, je mesure tout ce que j’ai gagné avec cette maladie : de l’humour ; une gratitude pour les choses reçues et les personnes qui m’entourent ; de la patience, même si cela reste parfois encore un défi; plus d’attention aux autres et à moi.
1. Positiver n’empêche pas d’être en colère
Je ne parle pas ici de cette positivité un peu toxique et forcenée qui a été la mienne pendant les premières années de la maladie. Cette logique de « tout va bien » à tout prix sans prendre le temps de se demander si c’était bien vrai. Cette idée qu’il fallait tenir à tout prix, que cela pourrait toujours être pire. Oui, cela peut toujours être pire. Mais on peut aussi légitimement espérer que cela ira mieux, surtout lorsque on en est à sa Xème hospitalisation. Pendant plusieurs années, j’ai eu beaucoup de mal à accepter d’être en colère contre le fait d’être malade, pas de trouver cela injuste, mais juste d’être en colère. Et puis, j’ai appris que cela ne marchait pas de vouloir être positive tout le temps. En effet, il n’y a rien de positif à avoir besoin d’un fauteuil roulant ou d’avoir des jours de repos forcés. C’est inhumain de s’imposer cette positivité toxique. Et puis, cela n’a aucun sens car vouloir être absolument positif ne fait que retarder une confrontation avec la réalité de la maladie, qui n’est pas toujours facile. Une fois que j’ai accepté qu’être en colère était humain et possible, voir les côtés positifs de ma maladie a été plus facile.
2. L’humour sauve la mise
On connaît l’adage : « Il vaut mieux en rire qu’en pleurer. » Et même s’il y a certaines fois où la douleur morale ou physique est trop grande et les larmes coulent malgré tout, j’ai souvent réalisé que c’était très vrai. Avec une maladie chronique et un fauteuil roulant, on rit souvent devant l’absurde : des toilettes handicapées indiquées en haut d’une volée de marches ; quelqu’un qui nous explique qu’il ne veut pas nous approcher de peur qu’on l’infecte comme si on était pestiférée ; une roue de fauteuil roulant qui crève… J’ai souvent eu l’impression qu’en face de ces situations absurdes, soit on pleure, soit on rit, mais que dans l’ensemble, en rire permet au moins de rire très souvent. Ce qui est toujours ça de gagner !
3. On est seule, mais heureusement pas vraiment
C’est un des paradoxes de la maladie chronique: Même si on est très bien entourée, on reste seul à ressentir les symptômes, la douleur, la fatigue. Et c’est dur, surtout au début où j’avais l’illusion qu’être entourée suffirait à rendre la maladie plus facile. A cela s’est ajoutée une certaine déception, celle de voir disparaître de notre vie ce qu’on pensait être des amis. Le temps passant, je me suis aperçue que ceux qui étaient restés ou arrivés dans ma vie étaient ceux sur lesquels je pouvais compter envers et contre tout et qui, par leur présence, rendaient la maladie plus facile, surtout dans ses moments plus difficiles. Il y a cela de beau dans les relations que j’ai construites depuis que j’ai une maladie chronique qu’elles sont plus vraies et plus profondes. Par ailleurs, même si ma foi en Dieu a connu des hauts et des bas au cours de la maladie, elle a été d’une grande aide, une certitude que je n’étais finalement pas seule.
4. Les petites choses du quotidien sont précieuses
Dans les débuts de ma maladie chronique, j’étais tellement affaiblie que certaines activités du quotidien étaient devenues presque, voire complètement infaisables. Vider le lave-vaisselle, cuisiner ou tout simplement marcher plus de quelques minutes étaient devenus impossibles. Je me suis vraiment réjouie – je sais que cela parait difficilement imaginable – lorsque j’ai pu à nouveau vider un lave-vaisselle. Bien sûr, parce que cela voulait dire que j’allais suffisamment bien pour le faire. Mais aussi parce qu’en étant privée de ces gestes quotidiens, banals en apparence, ils ont développé une signification toute particulière. C’est comme s’ils avaient pris une valeur différente parce que je ne les considérais plus comme acquis. Même s’ils ne sont pas comparables aux jours de faiblesse du début, les jours avec plus de symptômes que je connais encore de temps à autre me rappellent toujours la valeur de ces actions quotidiennes et d’en profiter lorsque je peux les faire.
5. La patience est un must
Que la patience a été un sujet difficile au début de ma maladie, mais à quel point incontournable. J’ai vite appris à quel point être malade nécessitait de la patience : Parce que j’étais fatiguée et dépendante. Parce que je devais toujours expliquer ce dont j’avais besoin, parce que je voulais me sentir mieux. La patience est une vertu qui s’est perdue, comme je l’ai appris à mes dépens, moi qui, naïvement, me croyais patiente. Ne pas pouvoir changer les circonstances ou les contrôler requière beaucoup de cette patience qui permet l’acceptation de la situation comme elle. C’est aussi la réalisation – parfois, un peu brutale – que tout ne se passe pas toujours comme nous l’avions imaginé ou souhaité. Mais avec de l’humour et de la flexibilité, on arrive à décider de se laisser surprendre et d’accepter les choses comme elles viennent. On peut ainsi accepter la situation telle qu’elle est réellement, et non telle qu’elle devrait être, ce qui évite beaucoup de frustration.
6. Prendre soin de soi et faire attention à ses besoins sont importants
Apprendre à s’écouter, à faire des pauses, à reconnaître mes besoins a été une autre leçon de la maladie. Une leçon de bienveillance avec moi-même pour apprendre à dire stop et m’arrêter quand c’est nécessaire. J’apprends encore à me ménager des pauses avant qu’elles ne soient forcées par mon état de fatigue. Je reconnais que c’est difficile car cela va contre ma tendance naturelle à toujours faire plus. Mais avec le temps, j’ai mieux accepté qu’avoir des phases difficiles, où il faut que je fasse plus attention à moi, n’était pas une marque de faiblesse, mais au contraire, une preuve de force, celle de savoir résister à cette impulsion du « toujours plus ». Ainsi, lorsque je sens la fatigue s’accumuler – idéalement, avant d’être complètement explosée – je m’accorde une pause avec un bon livre ou film sympa avec un thé brûlant. Finalement, prendre soin de soi, c’est aussi prendre soin des autres. En effet, si je suis reposée, cela me permettra d’être plus disponible pour aider les autres, mais aussi parce que, si je ne m’écoute pas, j’aurai potentiellement besoin de plus d’aide et ce sont les autres qui en pâtiront, car ils devront s’occuper de moi et m’aider. Ainsi faire attention à moi est doublement bénéfique.
Il va sans dire que j’ai appris d’autres choses en douze ans de maladie – mieux prioriser, ne pas me laisser marcher sur les pieds, enfin, sur les roues, etc. – mais ces six apprentissages ont été les plus saisissants, les plus transformants aussi. Pour certains, j’en avais déjà conscience avant ma maladie chronique. Mais celle-ci me les a fait éprouver dans mon être, ce qui les a rendus plus marquants.
Bravo et merci Clotilde pour ce partage inspirant et émouvant! Haut les ❤️!