« Vous pourriez me laisser votre place. Vous n’avez pas honte d’être assise. » décréta une dame d’une soixantaine d’années dans le bus.
« En fait, je suis malade, je ne peux pas être debout. » lui rétorquai-je avec un semblant de sourire.
Soupir profond et roulement d’yeux de mon interlocutrice. Comme si cela allait changer quoique ce soit. Comme si je mentais. Comme si c’était de ma faute. Et lorsque je me suis levée sans doute fut elle la première à regarder avec incompréhension, étonnement, pitié ma démarche incertaine et ralentie. Ce ne serait pas la seule à m’avoir jugée, et à ne pas avoir compris qu’en fait, oui, j’ai une maladie chronique. Et que c’est pour cela que je ne peux pas rester debout ou que j’ai du mal à marcher par moments.
De subir à accepter le regard des autres
Dans les premiers temps de la maladie, le regard des autres m’était insupportable. Déjà parce qu’il était là, alors qu’avant que je sois malade, on ne me regardait pas. Ou pas plus que ça. Une personne ordinaire, sans distinction physique ou vestimentaire notoire, n’attire pas l’attention. Et lorsque je suis tombée malade, les autres se sont mis à me regarder. Avec incompréhension, suspicion, curiosité, pitié. Une de mes amies à qui j’avais expliqué que les gens regardent le fauteuil roulant dans la rue s’était gentiment moquée de moi jusqu’à ce que nous fassions une semaine de tourisme ensemble et qu’elle me dise au bout de quelques jours : « C’est vrai, tu as raison, les gens regardent. »
Au début de la maladie, le regard des autres me semblait brutal et dur et me rappelait sans cesse que désormais, j’étais différente, j’étais malade. Et ça faisait mal. A un moment où je n’avais pas encore accepté la maladie, je ne pouvais pas accepter le regard que portaient les autres sur mon corps malade. Et accepter la maladie ne suffit pas à accepter le regard des autres. Ce sont deux étapes différentes d’un processus long et pas toujours facile. Toutefois, accepter le regard des autres fait partie de cette acceptation de la maladie. Mais je pense que cela vient après qu’on ait soi-même fait la paix avec la maladie et qu’on ait décidé d’aller de l’avant, malgré tout, malgré elle.
Avec le temps, j’ai aussi réalisé que le regard des autres variait, qu’il n’était pas unique, mais qu’il allait de la pitié au doute, en passant par la curiosité, l’interrogation ou la compassion. Finalement, j’ai aussi appris à ne plus prêter trop attention à ces regards que les autres portaient sur ma démarche incertaine ou sur mon fauteuil roulant en fonction des moments, à ce que les autres pouvaient penser. Quelle importance finalement ? Ceux qui comptent savent, ceux qui ne savent pas ne comptent pas vraiment.
D’accepter à apprivoiser le regard des autres
Accepter le regard des autres, c’était aussi dépasser cette peur qu’on me mette dans une case, qu’on me juge avant même de me connaître vraiment, qu’on s’apitoie sur moi, qu’on me méprise. C’était d’autant plus difficile lorsque je rencontrais de nouvelles personnes. Je ne voulais pas qu’elles me mettent toute suite dans une catégorie, dans une boîte, dont il me serait difficile de sortir. Même dans les phases où ma maladie ne se voyait pas ou peu, j’ai parfois eu cette inquiétude de comment le dire aux autres et de me demander comment ils régiraient s’ils le savaient.
Un jour, alors que je descendais du bus, un homme m’a demandé comment je faisais pour sourire comme ça, malgré ma situation. « Parce que je suis heureuse », lui ai-je répondu avec un grand sourire. Pourquoi ma vie devrait-elle être moins bien que celle d’un autre parce que j’ai une maladie chronique et que j’utilise un fauteuil roulant ? Depuis, j’ai toujours pris un malin plaisir à sourire du fond de mon cœur à tous ceux qui me regardent, mais surtout ceux qui le font avec pitié.
Certes il faut accepter les regards des autres, mais dans une certaine mesure. Plus encore qu’accepter, il faut les apprivoiser. Leur faire comprendre que nous ne sommes pas une catégorie et pas une étiquette. Que nous ne sommes pas moins capables parce que nous avons une maladie chronique. Que notre vie n’a pas moins de valeur à cause de ça. Qu’on peut être heureux malgré tout, même s’ils ne nous croient pas.
Et vous comment avez-vous accepté le regard des autres ? Cela a-t-il été difficile ou plutôt facile ?
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Merveilleux, chère Clothilde!
Tu fais preuve d’une foi dans la vie et le bonheur que j’admire profondément.
Une question cependant: je crois me souvenir que tu es catholique. La foi chrétienne t’a-t-elle aidée?
Je t’embrasse,
Elisabeth Colin-Eckel (Novak)
Merci beaucoup! Oui, cela m’a aidée, avec cette impression d’être moins seule dans les moments de difficulté.